Lettre ouverte à mon corps

30/09/2015

Cet article va certainement paraître très égo-centré, ces dernières longues journées (ainsi que peut être les séances de méditation dans la communauté Tui) m’ont permise de méditer intensément sur cet étrange relation à cette entité qui me suit depuis toujours, mon corps. Et je ne sais pas vraiment comment commencer cet article (le début de notre relation ayant été plutôt inconscient) ni comment le finir: on a encore un bon bout de chemin à faire ensemble, il n’y a pas vraiment de fin de soit.

Cher corps,

Toi et moi, on ne s’est pas toujours aimé et compris. Depuis mon enfance, tu m’a fait me sentir différente des autres filles de mon âge. J’avais trop de hanche, trop de formes, un peu trop grande, rien n’était parfait. Pourtant quand je revois les photos maintenant, je n’étais pas grosse comme je le pensais. Je n’étais juste pas filiforme comme tous les modèles ou pour mes camarades que la puberté n’avait pas encore touchée. En plus de cela, quand j’aurais pu commencer à prendre du plaisir dans les activités sportives, tu m’as gentiment doté d’asthme à l’effort (et de lunettes au passage). Quel plaisir d’être une pivoine sifflante de tous ses poumons après avoir traversé la cour en courant, comme tous les autres enfants. Pas facile à assumer, mais avec toutes ces années, j’ai appris à gérer cet asthme, à vivre avec, et même à presque l’oublier ces dernières années…

Le sport, ce n’était pas vraiment ma tasse de thé (malgré la grande variété de thés que j’apprécie énormément), mais j’avais trouvé le judo. Bon, je peux l’avouer maintenant, c’était surtout pour passer du bon temps avec les copines, mais ça me plaisir. C’était une activité sportive. Je n’y brillais pas, certes, mais au moins je m’amusais. Et là, paf! Parfait combo d’une croissance un peu trop rapide et de cartables trop lourds, me voici avec une vertèbre qui se déplace. Exit le judo.

Et puis, mécaniquement tu n’en avais pas fini avec moi. Il a ensuite fallu que cette satanée hanche me pourrisse la vie pendant une bonne année, celle de la terminale. L’avantage c’est que cela m’a permis quelques dispenses sportives au lycée militaire. Autant dire que là bas, j’étais vraiment nulle dans tous les sports comparés à mes camarades, et me sentait tellement honteuse de faire partie d’une équipe ou même juste de montrer mes performances pitoyables. Mais bon, j’avais mal tout de même. Je ne remercierai jamais assez le fabuleux podologue (Alexandre Legendre à Monfort pour ceux que cela peut intéresser) qui m’a trouvé une solution miracle et simple pour supprimer cette douleur: des semelles! Je pouvais marcher, courrir, jouer à nouveau.

Et puis ce fut l’arrivée aux études post-baccalauréat, mon premier appart’, etc. Me voici responsable de ma vie! Et c’est une sacré responsabilité. Je m’excuse, mon corps, de t’avoir quelque peu négligé ces années là. J’ai mangé plus ou moins équilibré, bu un peu plus que de raison, et par manque de temps ou de motivation, je n’ai pas fait beaucoup de sport. Mais jamais rien dans l’excès… Les fast-foods n’ont jamais été mon quotidien, ni même mon hebdomadaire. De tout façon, mon budget n’aurait pas tenu. Par contre, des repas semoule-tomate-oeufs, j’en ai fait pas mal les premières années. J’ai fait un peu de sport, de la piscine, des sorties, rien de récurrent, mais un peu le plus souvent.

Il faut avouer que j’avais du mal à te regarder. Alors l’idée de te montrer aux autres était encore plus terrifiante. J’étais nulle dans la plupart des sports, et surtout je n’y prenais pas de plaisir. Ce qui n’a pas aidé pas à tirer satisfaction et motivation pour des heures d’entraînement. L’esprit de compétition, je ne l’ai jamais eu. Par contre, si c’était pour passer un bon moment, tout était différent.

Et puis j’ai appris que mon insuline n’était pas très efficace, qu’il fallait que je fasse attention au sucre pour éviter de devenir diabétique. Le choix entre faire attention ou devoir prendre des médicaments à vie à vite été réalisé. Mais finalement je n’ai eu que très peu de concessions à faire. J’ai supprimé les quelques desserts par des tisanes et du thé (sans sucre évidemment). Je ne buvais déjà pas de sodas et très peu de jus de fruits. Il n’y a pas de friandises chez moi, excepté du chocolat noir, quelques noix et des petits gâteaux de temps en temps et extrêmement rarement des glaces. Je suis restée vigilante. Même aux moments les plus stressants de ma vie étudiante, je n’ai jamais eu besoin d’avaler une tablette de chocolat dans la soirée. Un quart suffisait largement. Mes quelques chocolats de Noël n’étaient souvent pas terminés à Pâques. (et presque vice-versa pour mon lapin de Pâques qui restait en vie bien trop longtemps). Cela fait maintenant presque 10 ans que je surveille ce fameux sucre, et mon corps au passage. Et je crois que nous avons fait un bon boulot tous les deux: toujours pas de diabète!

Par contre, toi, tu as commencé à enfler plus que ce que je ne voulais. Sans rien y comprendre. Le stress ils disaient. Le manque d’activités ils disaient. Moi je n’en ai aucune idée. Je n’ai pas été la meilleure pour prendre soin de toi, mais j’ai essayé au maximum de te respecter, voire même de t’écouter. Je cuisinais quasiment tous mes repas, avec des légumes bio si possible. J’ai presque totalement supprimé la viande par conviction écologique et pour ne te donner que de la bonne viande, très occasionnellement. Blettes, potiron, kale, épinards, lentilles, pois chiches et bien d’autres n’ont plus de secret de cuisine pour moi. Je me sentais mieux. J’ai fais du sport plus régulièrement en trouvant des activités plus à mon goût. J’ai perdu un peu de poids, et j’ai commencé à te regarder différemment.

Toi et moi, on n’a pas le choix. On doit vivre ensemble. Tu ne seras jamais parfait, mais je ne le suis pas non plus. On a nos torts tous les deux. J’avais enfin réussi à trouver un équilibre à travers ce voyage: ces paysages magnifiques me donnent envie de randonner partout. On en a gravit des montagnes ensemble, doucement et péniblement au début. Toujours aussi doucement mais bien moins péniblement maintenant. Et puis vivre sur les routes en NZ, c’est encore plus de légumes achetés directement du jardin des particuliers. Des tomates merveilleuses, des avocats tout juste mûrs, des pommes craquantes et juteuses, des potirons énormes et pas chers…

Et j’ai changé mon regard sur toi. Il y a toujours quelques bourrelets en disgrâce, mais je m’accommode pas trop mal du reste. J’ai envie de mettre des robes et des shorts et finalement je ne suis pas si différentes de toutes ces personnes autour de moi. Je me sentais bien mieux.

Comme un voyage ne peut pas être de tout repos, je pensais avoir déjà collecté mon souvenir de NZ qui me restera dans la peau: une brûlure au premier degré (suite à une bouillotte faite maison avec une bouteille en verre et un couvercle en métal) qui s’était méchamment infectée. Un premier tour au centre médical, des soins infirmiers, des antibio, une belle cicatrice et le tour est joué, le mauvais souvenir est derrière. Et puis même pas honte de mettre une robe et de montrer cette cicatrice, preuve de ma stupidité.

Et puis voila, encore une fois il a fallu que tu m’embêtes à nouveau, que tu me joues un sale tour. J’étais bien moi dans cette communauté, à jardiner au soleil tous les jours (jardiner tous les jours, pour le soleil, c’est que le début du printemps, il pleut aussi parfois). Nourrie et logée contre travail, mais encore mieux, nourrie avec les légumes du potager, les œufs du poulailler, le lait frais du voisin, la farine moulue sur place, etc. Et tout ça en bord de mer, j’avais plein de projets de rando pour mes weekends.

Et tu me lâches une fois de plus. Je sais que je suis une femme et que j’ai des soucis d’hormones, mais je n’ai ni l’âge ni le régime alimentaire qui favorise l’apparition de calculs biliaires. Surtout que pour 80% des personnes, ces calculs seront indolores et passeront inaperçus. Mais toi tu as voulu que je teste les ambulances kiwis, la morphine et les urgences de Nelson. J’ai bien vu que les infirmières à l’hôpital sont très gentilles, mais j’aurais préféré éviter de les rencontrer. Et se faire opérer loin de ses repères et de son entourage, c’est vraiment pas sympa!

Il est vrai, tu aurais pu me jouer un tour pire et m’embêter au fin fond de la jungle, au milieu d’un désert ou dans un pays dont je ne parle pas la langue. Mais tout de même, j’ai envie de profiter de mon voyage, après 4 mois d’isolement pour gagner de quoi le financer. Je n’ai pas envie de juste financer mon retour ou mon opération.

J’espère que cette fois-ci j’ai compris. Je vais te soigner, prendre soin de toi, me reposer. Je vais aussi remercier mon assurance (ou la petite voie dans ma tête qui m’a conseillée de la renouveler). Et quand ce fâcheux incident sera enfin clos, quand je pourrais reprendre la route, en faisant attention au sucre et au gras bien entendu, s’il te plait, j’aimerais bien pouvoir profiter un moment de tranquillité et de bien être. S’il te plait, laisse moi prendre soin de nous et partir explorer ces territoires à pieds.

S’il te plait, faisons la paix.